LES SARGASSES : UNE MENACE POUR L'ÉQUILIBRE DES ANTILLES ?

Publié le 05/06/2018

Depuis quelques mois, un autre fléau refait surface et menace l’équilibre précaire de la Guadeloupe, la Martinique et la Guyane. La calamité revêt la forme d’algues appelées «sargasses». Leurs échouages massifs sur les côtes antillaises ont poussé, l’Etat à débloquer 3 millions d’euros pour acheter des machines de ramassage et des équipements de protection pour les équipes sur le terrain.

LES SARGASSES : KÉSAKO ?

Les sargasses forment de vastes bancs d’algues brunes tissés en rang serrés, leur épaisseur peut atteindre un mètre et peut s’étaler jusqu’à plusieurs dizaines de kilomètres à la surface de l’Atlantique. Lorsque ces algues s’amoncellent et sèchent, elles dégagent de l’ammoniac et de l’hydrogène sulfuré. Couplés, ces gaz toxiques sentent l’œuf pourri et dégradent les rivages. «On sent une odeur difficilement supportable d’ammoniac et de déchets. Les personnes qui y sont confrontées sont obligées de quitter leur domicile», précise à Libération le sénateur de la Guadeloupe, Dominique Théophile (LREM). Respirer de l’hydrogène sulfuré et de l’ammoniac entraîne picotements à la gorge, brûlures aux yeux, toux sèche, nausées et troubles digestifs. Ces gaz toxiques n’épargnent ni la faune marine (poissons, tortues…), ni le paysage (détérioration des maisons et mobiliers).

Seul moyen de se protéger des sargasses : s’en éloigner. Sur place, plusieurs témoignages confirment que se sont principalement les plus fortunés qui réussissent à s’installer ailleurs. «Les békés [habitants à la peau blanche descendants des premiers colons européens ndlr] ont quitté les mornes du François et du Robert, mais les pauvres n’ont nulle part où aller», a expliqué à Libération une Martiniquaise qui a rendu visite à «des proches au Robert», dans le centre-est de la Martinique.

POURQUOI LES COMMUNES SONT-ELLES PARALYSÉES ?

La propagation des sargasses serait due au réchauffement de l’eau et aux pollutions des eaux de la façade atlantique. Les algues bloquent les bateaux dans les ports et découragent les touristes dans les îles. En Guadeloupe, la Désirade et l’île de Terre-de-Bas, de l’archipel des Saintes, sont presque coupés du monde, à cause de l’arrivée d’immenses radeaux de sargasses, qui s’amoncellent dans leur port respectif, seul point d’entrée pour les passagers, le fret et les pêcheurs. « Lors des trois derniers mois, nous avons dû à plusieurs reprises fermer notre port, raconte à Libération Jean-Claude Pioche, le maire de la Désirade (DVG). Les magasins n’ouvrent plus faute d’arrivée d’approvisionnement. De même pour les écoles.» « Entre mars et avril, plus 400 tonnes de sargasses se sont amassées, nous les avons stockées dans les extrémités Est et Ouest du territoire », lâche l’édile de l’île de 1 600 habitants. Le maire du Robert – troisième commune la plus peuplée de Martinique – n’a pas hésité à prendre un arrêté pour fermer plusieurs établissements scolaires situés à proximité des zones touchées par l’invasion.

VERS LA RECONNAISSANCE DE L’ÉTAT DE CATASTROPHE NATURELLE ?

Malgré le crédit d’Etat de 3 millions d’euros, les élus antillais demandent à la France de prendre des dispositions pour que la situation ne se reproduise plus. Les Antilles ont déjà connu une grande crise en 2015. Après une accalmie de deux ans, l’archipel est à nouveau envahi par des sargasses. « C’est une affaire d’Etat. Imaginez une situation similaire à Saint-Tropez ou Nice, ça ne durerait pas une semaine !» regrette Dominique Théophile. Le sénateur est à l’origine d’une proposition de loi consistant à transférer la compétence du ramassage des végétaux marins nuisibles à l’Etat. « L’ampleur du phénomène, venant du Brésil, dépasse la capacité financière des collectivités locales. Il faut les exempter de leurs obligations techniques et financières et mettre en place une coopération internationale avec le principe du pollueur payeur.»

Fin avril, François Bayrou a souhaité que l’Etat reconnaisse l’état de catastrophe naturelle suite à l’échouage massif des sargasses sur les côtes antillaises. « Il faut que l’Etat accepte de considérer que c’est une catastrophe naturelle », a-t-il insisté. « Il y a eu depuis 2012 des demandes pour déclarer l’Etat de catastrophe naturelle pour les territoires de Guadeloupe, de Martinique et de Guyane, mais les différents gouvernements sont restés sourds », déplore Dominique Théophile qui met en avant «le caractère imprévisible de l’invasion d’algues marines».

En l’état actuel, lorsque les bancs de sargasses débarquent sur les côtes, il incombe aux mairies et aux communautés d’agglomération de les ramasser. « En mer, les mairies sont compétentes à jusqu’à 300 mètres des côtes. Au-delà, l’Etat est responsable », détaille Jean-Claude Pioche avant d’ajouter : « Si le particulier n’est pas assuré, il ne bénéficie pas d’un dédommagement. Faute de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle, nous vivons dans une situation d’injustice».

 

Retour à l'index